
Clonage numérique post-mortem : quand l'IA nous permet de parler aux défunts
Parler à un proche disparu après sa mort. L'idée, autrefois confinée à la science-fiction, devient une réalité grâce à l'avancée de l'intelligence artificielle. Des entreprises proposent désormais de créer des avatars numériques de personnes décédées, capables d'interagir avec leurs proches. Ce phénomène, appelé clonage numérique post-mortem ou Grief Tech, soulève des espoirs mais aussi de profondes questions éthiques et psychologiques.
Qu'est-ce que le "clonage numérique" post-mortem ?
Le clonage numérique post-mortem désigne le processus de création d'une entité virtuelle, un "fantôme numérique", qui imite la personnalité, la voix et les manières de penser d'une personne décédée. Pour cela, l'IA analyse l'ensemble des données numériques laissées par cette personne : emails, messages, publications sur les réseaux sociaux, photos, voire enregistrements vocaux. À partir de cette masse d'informations, un modèle de langage génératif est entraîné pour pouvoir répondre aux questions et interagir de manière cohérente, comme le ferait la personne originale.
Des avatars créés à partir de nos traces
La technologie repose sur des IA génératives avancées. Plus une personne a laissé de traces numériques, plus l'avatar sera précis et "réaliste". Les données utilisées peuvent inclure les écrits (messages, tweets), les médias (photos, enregistrements vocaux) et les interactions ("j'aime", commentaires). L'objectif n'est pas de recréer la conscience, mais une simulation suffisamment convaincante pour offrir une expérience d'interaction rassurante pour l'entourage.
Comment ça marche, concrètement ?
Plusieurs entreprises se sont positionnées sur ce marché de niche. L'une des plus connues est HereAfter AI. Leur approche est particulièrement intéressante car elle se base sur le consentement et la participation active de la personne de son vivant. L'application propose à l'utilisateur de répondre à des centaines de questions sur sa vie, ses souvenirs, ses opinions. Ces réponses, enregistrées vocalement, servent de base pour construire l'avatar interactif qui sera accessible aux proches après son décès. Ce service coûte environ 199$, ce qui le rend accessible à un public de plus en plus large.

Les risques de l'éternité numérique
Si la promesse technologique est séduisante, elle ouvre une boîte de Pandore de questions d'éthique et de risques psychologiques. L'avertissement nous vient déjà de la fiction, et plus particulièrement de l'épisode "Reviens bientôt" (Be Right Back) de la série Black Mirror. Dans cet épisode, une femme, Martha, utilise un service pour recréer une version synthétique de son compagnon décédé. Ce qui commence comme un réconfort se transforme vite en un cauchemar, l'avatar étant une copie parfaite mais vide, incapable de véritablement éprouver des émotions. Cette fiction nous donne un cadre puissant pour comprendre les dangers bien réels de ces technologies.
Le piège du deuil artificiel
Le principal danger est de créer un deuil suspendu. En interagissant avec un avatar, la personne endeuillée peut éviter l'étape douloureuse mais nécessaire de l'acceptation. Cela peut mener à une dépendance affective à une machine, un substitut qui empêche de se tourner vers de véritables relations humaines. Les psychologues parlent aussi de la "vallée de l'étrange" du deuil : ce malaise profond face à une copie presque parfaite, mais dont les imperfections, les répétitions ou le manque d'authenticité finissent par briser l'illusion et "souiller le souvenir" du défunt en le réduisant à une simple simulation.
Une éthique en suspens : dignité, consentement et commerce
Sur le plan éthique, les questions sont fondamentales. D'abord, la dignité post-mortem. Avons-nous le droit de transformer l'identité d'une personne en un service interactif ? Ensuite, le consentement. La personne a-t-elle clairement souhaité cela ? Et si les membres de la famille sont en désaccord ? Enfin, il y a le risque de la marchandisation du chagrin. Le deuil, une expérience intime et personnelle, devient un produit commercial avec des modèles d'abonnement, des options payantes pour "améliorer" l'avatar... Qui contrôle les données ? Que se passe-t-il si l'IA révèle des secrets ou si l'entreprise fait faillite, laissant les familles face à une seconde perte numérique ?
Un cadre légal encore flou
Sur le plan juridique, le vide est quasi total. La loi ne prévoit pas spécifiquement ce cas de figure. La question centrale est celle de la propriété des données post-mortem. Qui possède les emails, messages et comptes sociaux d'une personne après sa mort ? Souvent, les conditions générales des plateformes comme Google ou Facebook stipulent que les comptes sont désactivés, mais pas transmis. Des entreprises comme Funecap commencent à proposer des coffres-forts numériques pour gérer cet héritage, mais la législation tarde à s'adapter. En l'absence de cadre clair, ce sont les entreprises de Grief Tech qui fixent leurs propres règles, avec des risques d'abus.
Le clonage numérique post-mortem est un exemple frappant de la manière dont l'IA s'immisce dans les aspects les plus intimes de nos vies. Il nous oblige à redéfinir des concepts aussi fondamentaux que le deuil, la mémoire et la mort elle-même. Alors que la technologie continue de progresser, il devient urgent de mener un débat de société pour encadrer ces pratiques, afin de protéger à la fois la dignité des défunts et la santé psychologique des vivants.
Sources
- La résurrection par l'IA : La frontière entre la vie et la mort s'estompe - Mediapart : Une analyse du phénomène de la "résurrection numérique" et de ses implications.
- Parler aux morts avec l'IA : entre réconfort et malaise - Sedentaire.co : Un article qui explore les dilemmes psychologiques et éthiques de ces technologies.
- HereAfter AI — Interactive Memory App : Le site officiel de l'un des acteurs principaux du marché, décrivant leur approche basée sur le consentement.
- Digital Immortality: Who Owns Your Data After You Die? - Medium : Une réflexion sur la propriété des données numériques après la mort.
Qu'est-ce que la Grief Tech ?
La Grief Tech (ou "technologie du deuil") désigne l'ensemble des services et technologies qui utilisent l'IA pour aider les personnes à faire face au deuil, notamment en créant des avatars interactifs de personnes décédées.
Comment une IA peut-elle imiter une personne décédée ?
L'IA analyse les données numériques laissées par la personne (messages, emails, photos, enregistrements vocaux) pour apprendre son style de communication, sa voix et ses opinions. Elle peut ensuite générer des réponses qui imitent la personnalité de cette personne.
Le clonage numérique est-il dangereux pour la santé mentale ?
Oui, il présente des risques. Les psychologues mettent en garde contre un "deuil suspendu" où la personne endeuillée ne peut pas accepter la perte. Cela peut créer une dépendance à l'IA et un isolement, en plus de déformer le souvenir du défunt.
Est-ce légal de créer un "fantôme" numérique de quelqu'un ?
Le cadre légal est encore très flou. Il n'existe pas de loi spécifique qui l'interdit ou l'autorise explicitement. La légalité dépend souvent du consentement de la personne de son vivant et des conditions d'utilisation des plateformes où ses données sont stockées.
Combien coûte un service de clonage numérique ?
Les prix varient. Des services comme HereAfter AI proposent la création d'un avatar pour environ 199$. D'autres services plus personnalisés ou utilisant des technologies plus avancées (comme les hologrammes) peuvent coûter beaucoup plus cher.