Open Future et la stratégie numérique européenne

Open Future : l'architecte discret de la souveraineté numérique européenne

Derrière les grandes annonces de la Commission européenne sur l'intelligence artificielle et la souveraineté numérique, se cachent des acteurs influents mais souvent méconnus. L'un des plus pertinents est Open Future. Ce think tank indépendant travaille discrètement mais efficacement pour façonner un avenir numérique pour l'Europe, fondé sur l'ouverture, la collaboration et l'intérêt général. Voici comment cet organisme essaie de dessiner les contours de la stratégie technologique de l'UE.

Open Future : plus qu'un simple think tank

Open Future est une organisation indépendante qui se spécialise dans l'analyse et la proposition de politiques numériques. Son but n'est pas seulement d'observer, mais d'influencer activement les décisions des institutions européennes. Contrairement à une approche purement académique, l'organisation se veut pragmatique, en publiant des rapports, des notes stratégiques et en participant aux consultations publiques pour faire avancer sa vision d'un Europe numériquement souveraine et ouverte.

Les trois missions clés pour l'Europe

Le travail d'Open Future s'articule autour de plusieurs axes majeurs, qui répondent directement aux défis technologiques actuels de l'Europe. Ces missions visent à fournir une alternative concrète aux modèles technologiques américains et chinois.

1. Une IA pour le "Purpose, Not Power" (Finalité, pas Puissance)

Dans sa stratégie pour l'IA, Open Future critique l'obsession européenne pour la "puissance" (power) et propose de se concentrer sur la "finalité" (purpose). L'idée est de demander : "À quoi sert l'IA ?" plutôt que "Comment battre les champions étrangers ?". Ils préconisent de soutenir massivement l'IA open source, qu'ils considèrent comme le véritable chemin vers une souveraineté numérique durable. Cette philosophie s'est concrétisée lors de la consultation de l'UE sur la stratégie "Apply AI", où ils ont plaidé pour que les fonds publics financent des modèles d'IA open source répondant à des défis sociétaux, comme le diagnostic médical ou la surveillance environnementale, plutôt que de subventionner des entreprises dans le seul but de créer des "champions européens".

2. La construction des Communs Numériques

C'est l'une de leurs contributions les plus structurantes. Les communs numériques sont des ressources (données, logiciels, infrastructures) partagées, gérées collectivement. Open Future propose des initiatives comme le European Books Data Commons, un projet visant à créer un immense corpus de livres du domaine public pour entraîner les modèles d'IA. L'objectif est de donner à l'Europe ses propres données de haute qualité, indépendantes des géants de la tech. Cette proposition s'inspire directement d'initiatives existantes comme le Common Corpus, l'un des plus vastes ensembles de données du domaine public pour l'entraînement des LLM, coordonné par la société technologique Pleias en collaboration avec HuggingFace.

3. Redéfinir la Souveraineté Numérique

Pour Open Future, la souveraineté n'est pas l'autarcie. Ils la définissent comme la capacité de l'Europe à maîtriser son destin technologique. Leur note "From Public Investment to Public Value" en est une parfaite illustration, détaillant cinq mesures concrètes pour y parvenir :

  • Créer des fonds souverains pour l'investissement : Mettre en place des fonds européens pour investir dans des infrastructures critiques comme le cloud computing, les semi-conducteurs et les réseaux 5G/6G, réduisant ainsi la dépendance aux capitaux et technologies étrangers.
  • Généraliser l'usage des logiciels open source : Rendre obligatoire l'utilisation de logiciels open source pour les services publics. Cela éviterait le verrouillage par des fournisseurs privés (vendor lock-in), favoriserait la transparence et soutiendrait un écosystème européen dynamique.
  • Investir massivement dans les compétences numériques : Lancer des programmes de formation à grande échelle dans des domaines clés comme l'IA, la cybersécurité et le développement logiciel, pour construire une main-d'œuvre hautement qualifiée et autonome.
  • Promouvoir les espaces de données européens (Data Spaces) : Accélérer la création d'environnements sécurisés où les données sectorielles (santé, énergie, transport) peuvent être partagées et utilisées pour entraîner des IA, sous le contrôle des règles européennes.
  • Assurer l'autonomie stratégique sur le matériel : Soutenir les initiatives européennes en matière de conception et de fabrication de puces et d'autres composants matériels essentiels, même si cela passe par des collaborations stratégiques plutôt qu'une concurrence frontale avec les géants asiatiques.

Comment influencent-ils concrètement l'UE ?

Open Future n'a pas de pouvoir décisionnel direct, mais son influence se manifeste de plusieurs manières ciblées. Leur influence s'exerce en participant activement aux consultations publiques de la Commission, en publiant des rapports et des briefings politiques accessibles, et en organisant des événements pour rassembler experts et décideurs. En construisant des coalitions avec d'autres organisations, comme l'Open Knowledge Foundation, ils amplifient également leur message pour peser davantage dans les débats européens.

Conclusion : un avenir numérique à construire

En définitive, le travail d'Open Future rappelle que la souveraineté numérique de l'Europe ne se décrète pas, elle se construit. En proposant des alternatives concrètes et réfléchies, ce think tank offre une troisième voie, ni purement libérale ni étatiste, mais fondée sur la collaboration, l'ouverture et l'intérêt général. Alors que l'UE navigue entre les ambitions technologiques et les impératifs de souveraineté, la voix d'acteurs comme Open Future sera essentielle pour s'assurer que l'avenir numérique de l'Europe soit non seulement compétitif, mais aussi éthique, inclusif et véritablement au service de ses citoyens.

Sources


Qu'est-ce que le think tank Open Future ?

C'est une organisation indépendante qui analyse et propose des politiques pour influencer la stratégie numérique de l'Union européenne, en se concentrant sur l'ouverture et la collaboration.

Open Future fait-il partie de la Commission européenne ?

Non, c'est une organisation externe. Elle cherche à influencer les décisions de l'UE par la recherche, le plaidoyer et des propositions concrètes, mais elle n'est pas une institution officielle.

Que signifie le concept de "communs numériques" ?

Ce sont des ressources numériques (comme des données ou des logiciels) qui sont gérées collectivement et mises à disposition de tous, un peu comme un bien public. L'idée est de créer des ressources partagées pour l'innovation, comme des corpus de données pour entraîner l'IA.

Quelle est la proposition principale d'Open Future pour l'IA en Europe ?

Leur idée centrale est de privilégier la "finalité" (l'utilité sociale de l'IA) sur la "puissance" (la compétition économique). Ils militent pour un fort soutien à l'intelligence artificielle open source comme pilier de la souveraineté numérique.

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