Ma série a-t-elle été écrite par l'IA ? Une question qui se pose de plus en plus

Pourquoi cette question émerge-t-elle maintenant ?

Plusieurs facteurs expliquent l'émergence de ces suspicions. L'explosion des outils d'IA générative a joué un rôle clé. Des plateformes comme ChatGPT, Claude ou Gemini produisent désormais des textes cohérents. Leur capacité créative n'est plus théorique. Elle est devenue tangible pour tous.

L'industrie audiovisuelle explore aussi ces technologies. Des géants comme Netflix l'admettent ouvertement. Ils utilisent déjà l'IA pour certains aspects de leurs productions. Dans The Eternaut, par exemple, des effets visuels ont été générés par IA.

Un autre facteur majeur a créé un climat de méfiance. Plus de 139 000 scripts de séries et films ont été utilisés sans consentement. Cette révélation, rapportée par The Atlantic, a choqué le milieu. Des œuvres de créateurs renommés servent désormais de matière première aux algorithmes. C'est le cas pour Shonda Rhimes (Grey's Anatomy, How to Get Away with Murder), Ryan Murphy (Glee, American Horror Story) ou Matt Groening (Les Simpson, Futurama).

Comment repérer une série potentiellement écrite par IA ?

Si aucune méthode de détection n'est infaillible, certains signes récurrents alimentent les suspicions des spectateurs attentifs. Ces indicateurs ne constituent pas une preuve, mais plutôt des signaux d'alerte qui poussent à s'interroger.

Des dialogues qui sonnent artificiels

Les spectateurs rapportent souvent des dialogues présentant certaines caractéristiques :

• Un ton générique et impersonnel, manquant de singularité
  
• Des répétitions de formules ou d'expressions
  
• Un manque de sous-texte ou de double sens
  
• Des interactions qui semblent déconnectées des émotions humaines
  

Ces éléments ne sont pas exclusifs aux contenus générés par IA, mais leur combinaison et leur fréquence peuvent éveiller les soupçons.

Des incohérences scénaristiques

Les scénarios générés par IA présentent parfois des problèmes de continuité ou des incohérences logiques qui déroutent les spectateurs :

• Des contradictions dans la chronologie des événements
  
• Des comportements de personnages peu justifiés
  
• Des solutions trop simples à des problèmes complexes
  
• Une méconnaissance de domaines spécifiques (médecine, technologie, etc.)
  

Ces défauts peuvent bien sûr exister dans des scénarios entièrement humains, mais leur accumulation et leur nature particulière sont souvent pointées du doigt dans les débats sur l'IA.

Des personnages "bidimensionnels"

Un autre signal fréquemment mentionné concerne la faible profondeur psychologique des personnages :

• Des arcs narratifs prévisibles ou inexistants
  
• Une absence d'évolution au fil de l'histoire
  
• Des motivations simplistes ou changeantes sans raison
  
• Un manque de nuance dans les relations interpersonnelles
  

Ces caractéristiques donnent l'impression que les personnages sont des archétypes plutôt que des individus complexes, ce qui renforce l'hypothèse d'une génération algorithmique.

Séries et IA, entre rumeurs et choix assumés

Plusieurs productions récentes illustrent la complexité de la relation entre l'IA et la création télévisuelle. Certaines ont fait l'objet de rumeurs persistantes, tandis que d'autres assument ouvertement l'utilisation de l'intelligence artificielle. Ces exemples révèlent une réalité nuancée, où suspicion et transparence coexistent.

Death and Other Details

Cette série Hulu de 2024 est peut-être l'exemple le plus cité dans les discussions sur l'écriture par IA. De nombreux spectateurs ont exprimé leur conviction sur des forums comme Reddit, avançant que la série présentait tous les signes d'une création algorithmique :

• Des personnages jugés inconsistants
  
• Des incohérences dans l'univers diégétique
  
• Des dialogues perçus comme artificiels
  

Malgré ces suspicions, aucune preuve officielle n'a jamais été apportée. Les créateurs, Heidi Cole McAdams et Mike Weiss, n'ont jamais réagi directement à ces rumeurs. La presse spécialisée a souligné les faiblesses d'écriture sans évoquer l'IA.

Nothing, Forever

Contrairement au cas précédent, Nothing, Forever est un exemple avéré et assumé de série générée par IA. Diffusée en continu sur Twitch, cette sitcom se présente comme un hommage infini à Seinfeld, avec :

• Des scénarios générés en temps réel par GPT
  
• Des personnages animés automatiquement
  
• Une diffusion ininterrompue 24h/24, 7j/7
  

Ce projet expérimental a connu son lot de controverses, notamment lorsque l'IA a généré des dialogues jugés transphobes, entraînant une suspension temporaire de la diffusion. Il représente un cas concret de ce que l'IA peut déjà accomplir dans la création télévisuelle.

Autres cas notables

D'autres productions ont également alimenté ces débats, parfois de manière différente :

• The Eternaut : Série Netflix où l'IA a été utilisée pour générer des effets visuels, suscitant l'inquiétude des spectateurs sur une possible extension à l'écriture
  
• Prompt : Mini-série ARTE qui revendique l'utilisation de l'IA dans sa création, présentée comme une exploration artistique
  
• Des projets comme Showrunner qui permettent aux utilisateurs de créer des épisodes entièrement générés par IA à partir de simples instructions
  

Ces exemples montrent la diversité des approches, de l'utilisation transparente à l'expérimentation assumée.

La réponse des créateurs et de l'industrie

Face à ces suspicions et à l'émergence de l'IA dans le paysage audiovisuel, les réactions des professionnels sont variées mais marquent une prise de conscience collective.

La grève historique des scénaristes de Hollywood en 2023 avait pour enjeu majeur la protection contre l'IA. Les scénaristes ont obtenu des garanties sur l'utilisation de ces technologies, limitant leur capacité à remplacer complètement les créateurs humains.

Certaines chaînes, comme ITV, ont provoqué des polémiques en créant des postes dédiés à l'innovation IA pour l'écriture, suscitant des réactions négatives de scénaristes renommés comme Lisa McGee (Derry Girls).

En parallèle, des créateurs explorent activement ces nouvelles possibilités. La série Prompt sur ARTE en est un exemple, assumant l'utilisation de l'IA comme outil créatif plutôt que comme substitut.

L'impact sur les spectateurs et la création

Ce phénomène de suspicion généralisée transforme profondément notre rapport aux œuvres audiovisuelles et à la création en général.

Du côté des spectateurs, on observe une méfiance croissante et un nouveau regard critique. De nombreux téléspectateurs deviennent des "détectives d'IA", analysant chaque dialogue à la recherche de signes révélateurs. Un sondage cité par TheWrap montre que seulement 12% des téléspectateurs approuveraient l'utilisation de l'IA pour écrire des scripts avec une intervention humaine minimale.

Pour les créateurs, cette situation représente à la fois un défi et une opportunité. D'un côté, la suspicion peut nuire à la réception des œuvres, même lorsqu'elles sont entièrement humaines. De l'autre, elle pousse à une réflexion sur la spécificité de la création humaine et sur la manière dont l'IA peut être intégrée de manière éthique et transparente.

Conclusion et perspectives

La question de l'écriture par l'IA dans les séries télévisées dépasse aujourd'hui la simple curiosité. Elle témoigne d'une évolution significative de notre paysage médiatique et de notre rapport à la création.

Pour l'heure, la plupart des suspicions demeurent sans fondement. Les exemples de séries entièrement écrites par IA restent exceptionnels et s'inscrivent souvent dans une démarche expérimentale. Néanmoins, l'IA s'impose progressivement comme un outil d'assistance à l'écriture que le monde audiovisuel apprend à intégrer.

L'avenir s'orientera probablement vers une forme de collaboration entre création humaine et apports algorithmiques. La transparence jouera alors un rôle essentiel : l'acceptation de l'IA par le public dépendra de son utilisation assumée et éthique.

Cette interrogation croissante nous rappelle finalement que l'intelligence artificielle n'est plus seulement une technologie, mais s'affirme comme un nouveau participant à l'écosystème créatif, contribuant à redéfinir les contours de la création audiovisuelle.