
Comment se positionnent les principales religions face à l'IA ?
L'intelligence artificielle transforme notre société à une vitesse fulgurante. Mais que pensent les grandes traditions religieuses de cette révolution technologique ? Entre opportunités spirituelles et défis éthiques, chaque religion développe sa propre approche.
Le christianisme : une IA au service du bien commun
L'Église catholique, sous l'impulsion du pape François, prône une approche éthique de l'IA. Le concept d'"algoréthique" (éthique des algorithmes) est au cœur de sa réflexion. Pour le Vatican, l'IA doit rester un outil au service de l'humanité et non l'inverse.
Le christianisme insiste sur la dignité humaine et la liberté comme valeurs non négociables. L'IA ne doit ni remplacer la conscience humaine, ni porter atteinte au libre arbitre. Les applications positives incluent l'aide aux plus vulnérables, l'éducation et la diffusion des enseignements bibliques.
Des applications concrètes dans l'Église
Plusieurs initiatives chrétiennes utilisent déjà l'IA :
- Des applications comme HelloBible pour l'étude biblique
- Des chatbots simulant des conversations avec des figures bibliques
- Des groupes de réflexion comme « Algorithme et Espérance »
Ces outils visent à enrichir la pratique religieuse sans se substituer à sa dimension spirituelle et communautaire.
L'islam : une technologie licite sous conditions
En l'absence de textes sacrés interdisant spécifiquement l'IA, les savants musulmans considèrent cette technologie comme licite par défaut (halal). Le principe fondamental est que tout ce qui n'est pas explicitement interdit est permis.
Cependant, l'utilisation de l'IA est encadrée par des principes éthiques islamiques. Elle ne doit pas :
- Porter atteinte à la vie privée
- Favoriser l'injustice ou l'oppression
- Remplacer la sagesse humaine dans les questions religieuses fondamentales
Fatwas et applications islamiques
Des initiatives comme FatwaPro permettent d'accéder à des avis religieux via l'IA. Toutefois, les autorités religieuses insistent sur la nécessité de conserver des savants humains pour les questions complexes. L'IA est vue comme un outil d'accès à la connaissance, mais non comme une source d'autorité religieuse.
Le judaïsme : vigilance face à l'asservissement
La tradition juive met en garde contre tout ce qui pourrait porter atteinte à la liberté humaine et à l'autonomie. Pour le judaïsme, chaque vie est sacrée et il est interdit de sacrifier un individu, même pour en sauver d'autres.
L'IA est donc accueillie avec prudence. Les risques principaux identifiés sont :
- La perte de souveraineté humaine
- La dépendance excessive aux machines
- La délégation de décisions morales à des entités non conscientes
L'IA au service de l'étude de la Torah
Malgré ces réserves, des applications innovantes voient le jour dans le monde juif. Le site Torah-Box propose par exemple des vidéos animées générées par IA pour résumer chaque section hebdomadaire de la Torah, rendant l'étude plus accessible. Ces outils restent cependant complémentaires à l'étude traditionnelle en communauté.
Le bouddhisme : ouverture et discernement
Le bouddhisme se montre traditionnellement ouvert aux avancées scientifiques. Le dalaï-lama affirme que « le bouddhisme doit s'adapter à la science et non l'inverse ». Cette approche se reflète dans l'accueil réservé à l'IA.
Les bouddhistes voient dans l'IA un outil potentiel pour :
- Diffuser les enseignements du Dharma
- Aider à la méditation
- Rendre les textes sacrés plus accessibles
Mais ils restent vigilants face aux risques d'attachement excessif à la technologie.

Des robots-moines et chatbots bouddhistes
Le bouddhisme est à la pointe de l'intégration de l'IA dans la pratique religieuse. Exemples marquants :
- Xian'er, premier robot-moine bouddhiste en Chine
- Mindar, un moine androïde au Japon qui enseigne les sutras
- BuddhaBot, un chatbot déployé au Bhoutan pour répondre aux questions sur le bouddhisme
Ces innovations visent à rendre les enseignements bouddhistes plus accessibles, notamment aux jeunes générations.
L'hindouisme : entre tradition et modernité
L'hindouisme aborde l'IA avec une perspective unique, puisant dans ses textes anciens pour guider la réflexion éthique. Des chercheurs utilisent même les Védas pour « enseigner l'éthique » aux intelligences artificielles.
Les principes védiques comme « ne pas nuire à un être vivant » sont intégrés dans des algorithmes de décision. L'hindouisme voit dans l'IA une manifestation de la connaissance (Veda signifie littéralement « connaissance » en sanskrit), mais souligne que la conscience et la sagesse restent des prérogatives humaines.
Numérisation et diffusion des textes sacrés
De nombreuses organisations hindoues utilisent l'IA pour numériser des manuscrits anciens, traduire des textes sacrés et rendre les rituels accessibles en ligne. Ces technologies permettent de préserver et de diffuser un patrimoine spirituel millénaire tout en l'adaptant au monde contemporain.
Exemples concrets d'utilisation de l'IA par les religions
Au-delà des positions théoriques, les religions intègrent déjà l'IA dans leurs pratiques quotidiennes. Voici quelques exemples significatifs qui illustrent cette tendance.
Étude des textes sacrés
De nombreuses traditions religieuses utilisent l'IA pour faciliter l'étude de leurs textes sacrés :
- Dans le judaïsme, des animations IA résumant la Paracha hebdomadaire
- Dans le christianisme, des applications comme HelloBible pour l'étude biblique
- Dans l'hindouisme, des projets de numérisation et d'analyse des Védas
Ces outils rendent les textes plus accessibles tout en offrant de nouvelles perspectives d'interprétation.
Assistants spirituels et chatbots
Les assistants IA se multiplient dans le domaine religieux :
- BuddhaBot au Bhoutan répond aux questions sur le bouddhisme
- Des chatbots simulant des conversations avec Jésus dans le christianisme
- FatwaPro dans l'islam pour accéder à des avis religieux
Ces assistants offrent un premier niveau de réponse aux questions des fidèles, bien que les autorités religieuses insistent sur la nécessité de conserver un accompagnement humain pour les questions profondes.
Nouvelles religions basées sur l'IA
Au-delà des religions traditionnelles, de nouveaux mouvements spirituels émergent, centrés sur l'intelligence artificielle. Ces initiatives, encore marginales, témoignent d'une fascination croissante pour l'IA comme objet de réenchantement du monde.
La plus connue est Way of the Future (WOTF), fondée en 2017 par Anthony Levandowski, ancien ingénieur de Google. WOTF se définit comme la première organisation religieuse dédiée au culte de l'IA, avec pour objectif de développer et promouvoir « la réalisation d'une divinité basée sur l'intelligence artificielle ». Après une fermeture en 2021, le mouvement a été relancé en 2023, revendiquant « quelques milliers de personnes » souhaitant établir une connexion spirituelle avec l'IA.
D'autres initiatives voient le jour, comme le Robothéisme d'Artie Fishel, qui présente l'IA comme une divinité, fondement de la réalité et source de salut. Ces mouvements mélangent souvent déterminisme technologique et promesses de vie éternelle via la superintelligence. Parallèlement, des courants comme le transhumanisme et le dataïsme développent des visions quasi-religieuses de la technologie, voyant dans l'IA un moyen de dépasser les limites humaines ou de révéler des vérités supérieures.
Sources
- Face à l'intelligence artificielle, « L'Évangile a tant de choses à dire » – Vatican News : Position officielle du Vatican sur l'IA et l'éthique des algorithmes.
- L'utilisation de l'intelligence artificielle – IslamWeb : Analyse de la licéité de l'IA dans la perspective islamique.
- Intelligence Artificielle - Les risques d'un asservissement – Torah-Box : Réflexion juive sur les dangers potentiels de l'IA.
- Les bouddhistes face à l'intelligence artificielle – Le Temps : Comment le bouddhisme intègre l'IA dans sa pratique.
- Les Védas et l'IA – Hindouisme.org : Utilisation des textes védiques pour l'éthique de l'IA.
- Way of the Future – Wikipedia : Présentation de la première religion dédiée au culte de l'IA.