Back Market : quand un leader du reconditionné s'inquiète de la bulle de l'IA

Back Market : un géant de l'économie circulaire

Fondée en 2014 à Paris par trois entrepreneurs français — Thibaud Hug de Larauze, Vianney Vaute et Quentin Le Brouster — Back Market s'est imposée comme la place de marché référence pour les produits électroniques reconditionnés. L'entreprise propose aujourd'hui des smartphones, ordinateurs, tablettes et autres appareils électroniques à prix réduit, tout en luttant contre l'obsolescence programmée.

Avec une présence dans 18 pays et plus de 2 milliards d'euros de volume d'affaires, la licorne française a conquis 15 millions de clients dans le monde. Son modèle économique repose sur une commission prélevée sur chaque vente entre reconditionneurs certifiés et acheteurs, sans stock propre. Back Market incarne une alternative crédible à la surconsommation technologique, prouvant qu'économie et écologie peuvent faire bon ménage.

L'alerte sur la bulle de l'IA : des chiffres qui font réfléchir

C'est précisément dans cet e-mail inhabituel que Back Market développe sa thèse. Signé par Vianney Vaute, co-fondateur de l'entreprise, le message met en garde contre une bulle spéculative autour de l'intelligence artificielle. L'argumentaire s'appuie sur des chiffres particulièrement éloquents :

• 400 milliards de dollars investis dans l'IA en 2025, soit 1,2% du PIB américain
  
• Seulement 20 milliards de dollars de revenus générés par l'IA la même année
  
• Des prévisions d'investissements atteignant 3 000 milliards de dollars d'ici 2028 selon Morgan Stanley
  

Ces chiffres révèlent un déséquilibre préoccupant entre les sommes investies et les retours sur investissement actuels. Comme le souligne l'e-mail, cette situation rappelle étrangement la bulle internet de 2000, où les investissements dans les télécoms représentaient une proportion similaire du PIB américain juste avant l'éclatement.

Des data centers énergivores

L'e-mail insiste particulièrement sur l'infrastructure matérielle nécessaire à l'IA : les data centers. Décrits comme des "ogres qui dévorent une énergie de dingue et des montagnes de cash", ces centres de données nécessitent des investissements colossaux et un remplacement constant des puces électroniques (tous les 2-3 ans). Morgan Stanley prévoit d'ailleurs une pénurie d'énergie aux États-Unis allant jusqu'à 20% pour alimenter ces infrastructures d'ici 2028.

Un risque pour l'emploi et l'économie mondiale

Contrairement à la crainte populaire que l'IA remplace directement les emplois, l'e-mail met en lumière un risque plus immédiat : une crise économique généralisée qui détruirait des millions d'emplois de manière indirecte. La bulle de l'IA serait "4 fois plus grosse que celle des subprimes" de 2008, impliquant les sept plus grandes entreprises technologiques (Apple, Microsoft, Google, Amazon, Nvidia, Meta et Tesla) qui pèsent environ 21 500 milliards de dollars en capitalisation boursière.

Pourquoi utiliser le fichier client pour ce message ?

Plutôt que de publier cette analyse sur un blog ou les réseaux sociaux, Back Market a fait le choix de l'envoyer directement à des millions de clients via son fichier client. Cette décision d'utiliser ce canal privilégié pour un message qui n'est pas une promotion directe est un choix marketing audacieux qui interroge sur l'évolution de la communication d'entreprise. Cette stratégie vise plusieurs objectifs :

• Renforcer l'image de marque : Positionner Back Market comme une entreprise consciente des enjeux de son temps, pas seulement un vendeur de high-tech.
  
• Créer une communauté : Établir un dialogue qui dépasse la simple relation commerciale.
  
• Différenciation : Se démarquer dans un marché saturé par une communication originale et engagée.
  

Cette approche n'est pas sans rappeler celle de marques comme Patagonia, qui utilisent régulièrement leur liste de diffusion pour mener des campagnes environnementales ou politiques. Le calcul est le même : attirer et fidéliser une clientèle qui partage les valeurs fondamentales de la marque.

Une démarche cohérente avec les valeurs de Back Market

Cette prise de position n'est pas anodine de la part d'un acteur de l'économie circulaire. Back Market propose depuis toujours une alternative à la surconsommation technologique et à l'obsolescence programmée. En alertant sur les risques d'une bulle spéculative autour de l'IA, l'entreprise renforce son positionnement d'acteur responsable qui prône une technologie plus durable et humaine.

L'e-mail se termine par une question fondamentale : "L'IA ne devrait-elle pas être l'affaire des philosophes, des politiques, des anthropologues, avant d'être une aubaine pour les marchés financiers ?" Une interrogation qui souligne le déficit de gouvernance autour d'une technologie qui pourrait transformer notre monde aussi profondément que l'agriculture ou la machine à vapeur.

Une invitation à la réflexion collective

Au-delà de l'alerte économique, l'e-mail de Back Market est une invitation à la réflexion collective sur le développement de l'IA. Il nous rappelle que "le capitalisme n'est pas un vaccin contre la bêtise" et que la technologie n'est pas neutre.

Face à cette situation, deux attitudes sont possibles : continuer la course en avant sans se soucier des conséquences économiques et sociales, ou prendre du recul pour réfléchir collectivement au modèle que nous voulons. Comme le suggère l'e-mail, nous pouvons encore décider de "ralentir, de réfléchir, et même parfois de faire marche arrière". Après tout, nous avons déjà réussi à faire face à d'autres défis planétaires comme le trou dans la couche d'ozone.

Cette démarche de Back Market montre qu'une entreprise peut jouer un rôle dans le débat public, au-delà de sa simple activité commerciale. Une initiative d'autant plus remarquable qu'elle émane d'un acteur économique dont le cœur de métier est la technologie.